lundi 21 mars 2011

L'émergence, le retour du conservatisme scientifique


Pour moi les théories de l'émergence sont autant de résurgence d'un nouveau conservatisme scientifique. Les présentations les plus habiles de l'émergence font la part belle a l'hypothèse en l'opposant d'un côté à un réductionnisme mécanique incapable d'expliquer certains phénomènes, à celle d'un idéalisme (qui ferait par ex. exister l'esprit sans le cerveau...).
Il place alors tranquillement l'émergence entre les deux extrêmes sciemment mise en place, et la rhétorique fait le reste : qui voudrait des deux extrêmes ? Personne évidemment.

Le problème c'est que l'émergence se résume souvent a être l'explication que l'on amène quand précisément on a pas de véritable explication. Au lieu de chercher les vraies raisons d'un phénomène, on dit abusivement que c'est quelque chose qui émerge d'autre chose que lui par contre on connaît déjà... On veut pas remettre en cause une théorie générale et bien existante, et on se contente d'inventer pour la petite découverte ou chose qu'on explique pas encore, une émergence. C'est certainement pour cette raison que la théorie de l'émergence se retrouve maintenant dans tous les domaines : de l'Astronomie à l'étude de la Vie... et que certains peuvent la lier sans problème a des religions ou spiritualité bien spécifique comme l'hindouisme1. Je crains que ce genre de pratique, cette erreur que constitue la fuite par l'émergence persiste à cause de ce principe de base. Au fond ce n'est qu'une variante sur la « théorie ad hoc ».
Partant donc de la seule chose qu'ils pensent connaître, la théorie de l'émergence fait alors une double erreur en introduisant une idée de causalité (nécessaire pour maintenir la théorie que personne n'ose critiquer mais qui s'avère bien insuffisante pour expliquer ce que l'on veut quand même reconnaître comme existant en le casant dans « émergence »). Ils auraient pu s'en sortir mieux en disant qu' il y a coïncidence... mais non.

Il faut dire si l'on veut être correct, que la seule véritable critique de l'émergence vient du vitalisme et que celui ci à connu de nombreux déboires. Il n'y a que Canguilhem qui a su commencer à faire du vitalisme une proposition non problématique, qui ne faisait pas intervenir des choses comme une "force vitale" la ou elle ne devrait pas être.
Bergson avait commencé à critiquer le vitalisme en indiquant que la seule chose qu'il permettait de voir était l'ignorance d'un processus (voir Bergson, l'évolution créatrice. éd. Puf [1907], 2007. Chap. 1 p 42).
Avec Canguilhem cette démarche négative devient positive en étant inclus dans la démarche de recherche d'autres hypothèses. On critique les abus, on propose autre chose, qui ne rallie pas pour autant a un réductionnisme, un dieu-émergent ou l'idéalisme.

Canguilhem a fait un historique du vitalisme2. Il le décrit comme un courant de pensée pluriel, mais assez cohérent, avec une certaine unité et vitalité. Sa vitalité est du en partie a des philosophes médecins et se révèle « divisé et oscillante » mais s'engage en général « dans une recherche du sens des rapports entre la vie et la science en général, la vie et la science de la vie plus spécialement » (p.108/95). Le vitalisme est sceptique à l'égard du pouvoir des techniques et s'intéresse plutôt aux « réaction de l'organisme et à sa défense qu'a la cause morbide » (p.109/86). Il y a là une méfiance, « faut-il dire instinctive, à l'égard du pouvoir de la technique sur la vie » (p.109/86). « Le vitalisme c'est l'expression de la confiance du vivant dans la vie, de l'identité de la vie avec soi même dans le vivant humain, conscient de vivre. […] Le vitalisme traduit une exigence permanente de la vie dans le vivant, l'identité avec soi même de la vie immanente au vivant. » (p.109/86). Le mécanisme auquel s'oppose le vitalisme, tend à séparer le vivant de sa vie, a le mettre face à elle et a la considérer comme un objet, la réduire à l'inerte. Alors que le vitalisme incline a un sentiment de sympathie envers les phénomènes naturels, a se voir comme participant et membre d'un tout, d'un cosmos, ou de l'ensemble des vivants (communauté biotique). Le vitalisme est un règne original sur le tout de l'expérience qui n'a pas a se contenter d'enclaves ou de zones de dissidence. C'est une proposition qui a plus de raison de pouvoir contenir la connaissance de la matière que l'inverse, permettant la reconnaissance des pratiques de chacun, la ou la vue mécaniste veut tout réduire sous son empire. « Les renaissances du vitalisme traduisent peut-être de façon discontinue la méfiance permanente de la vie devant la mécanisation de la vie. C'est la vie cherchant à remettre le mécanisme à sa place dans la vie. » (p.126/99). « Rendre justice au vitalisme ce n'est finalement que lui rendre la vie. » (p.127/100).

1www.enfants-avalon.com/textes_dir/Emergence.pdf
2Il y expose aussi la fécondité du vitalisme à travers divers travaux qu'il a permis ainsi que les idées reçues qui continue d'être porté sur lui et la récupération politique que certains ont tenté de faire. L'ensemble des citations que nous donnons dans ce paragraphe ainsi que les détails que nous nous contentons de présenté ici se trouve dans Georges Canguilhem, La connaissance de la vie, Partie III. Chap. I. Aspect du vitalisme de La connaissance de la vie.

3 commentaires:

Erayo, Soratami Ascendant a dit…

A proprement parler, ce que l'émergentisme prétend expliquer n'est pas ignoré : on connaît la vie dans sa propre région, tout comme la matière. La question c'est de savoir ce qui relie ces deux entités connues, et c'est là qu'intervient l'émergentisme en proposant une causalité, un saut qualitatif qui survient lors d'une complexification croissante. L'émergentisme ne produit pas de théorie scientifique, c'est une philosophie.

En un sens il n'est pas si éloigné du vitalisme, si on considère que le vitalisme aussi est "qualitatif" et se méfie de la mathématisation du monde. La principale différence me semble au niveau de continuité vs discontinuité de la nature, bien que dans le détail les nuances soient minces. Le vitalisme soutient la différenciation croissante des êtres à partir d'une nature holiste ; l'émergentisme soutient la totalisation croissante de la nature à partir d'être séparés qui s'associent. Mais rien ne dit qu'il n'y a pas réversibilité entre ces deux théories philosophiques.

Florian OLIVIER a dit…

Bonne remarque.
En écrivant je savais que je poussais un peu la différence entre vitalisme et émergentisme. Parfois il vaux mieux boire de l'émergentisme que du réductionnisme mécanique ou de l'idéalisme.
Si l'on pousse votre remarque a bout, on en vient a un autre problème qui pourrait se poser : la recherche d'une cohérence globale (vitalisme) ou celles d'exactitudes locales (émergentisme). Selon ce que chacun entend par vérité des préférences s'établirait, les uns penserons : la vérité c'est quand c'est cohérent, les autres quand c'est exact.
L'une par ailleurs n'excluant pas l'autre parfois. Et je ne suis a priori pas totalement contre un certains électisme. Après tout, parfois "tout est bon"... me disais-je a une époque.
Cependant je pense que c'est vrai quand on a pris auparavant le soin de protéger ses arrières surtout en terme politique et social. Certaines théories pouvant préter plus le flan que d'autres a des interprétations politique qui peuvent paraitre absurde... mais qui ont bien lieu.

Merci encore !

Florian OLIVIER a dit…

Après réflexion je tiens quand même un peu mieux ma réflexion. Fondamentalement l'émergentisme ne peu pas aboutir a l'idée d'une multitude d'exactitudes locales... parceque jusqu'a preuve du contraire l'émergence a besoin d'un substrat d'ou elle émerge... et si ce substrat n'est pas questionné, la démarche me semble très problèmatique. L'émergentisme n'existerai alors que comme parasite salvateur d'autres positions-théories qui peuvent être très problématique.

Je maintient donc, qu'in fine, je pencherai donc quand même pour un "pseudo vitalisme" (j'emploi pseudo, parce qu'il a tellement porté avec lui de problèmes qu'il est difficile de s'y ratacher sans devoir aligner une défense derrière soi)...
En fait on ne peu pas pencher pour l'émergentisme, ou en tout cas, il n'y a pas d'émergentisme pur... sans son substrat sans lequel il n'existerai pas. Autrement dit, si certains ont l'impression d'adhérer a l'émergentisme, ils adhèrent aussi au final a ce qui permet a cette émergence d'être la.