Commentaire sur la pensée métaphysique de Serge Latouche à partir d'un de ses derniers articles : Brèves notes pour un ethos de la décroissance1.
Latouche voit l'éthique comme la recherche personnelle de sa voie propre. Il cherche par ailleurs à « reconstruire une société décente. Une société décente […] est une société qui n'humilie pas ses membres. […] La décence commune, c'est avoir de la retenue, être attentif, être capable d'avoir honte de ce qui est fait au monde et aux hommes. « Être sans vergogne, dit Bernard Stiegler, c'est être devenu incapable d'avoir honte. » ». Il rejoint donc le courant qui pensent qu'un point de vue morale est nécessaire a l'intérieur de la politique. En cela, il s'inscrit dans la trajectoire réouverte par Michéa2. Il rejoint aussi les analyses d'Ivan Illich rapellant la nécessité d'une ascèse ou techno-jeûne pour s'opposer à la toxicodépendance du consumérisme.
Mais au-delà de ce questionnement son article est très révélateur sur ses positions métaphysiques.
La bonne origine, le mythe de l'authentique et de la pureté heidegerrienne. Pour lui, il existe une banalité du mal engendrée par l'économie dominante orthodoxe. Cela signifie à revers qu'elle n'existe pas sans cette économie. A mon sens c'est tomber dans l'idéologie du bon sauvage (qui pour moi n'est pas de Rousseau. Par ailleurs je dirais que la banalité du mal n'est pas généré par l'économie mais « seulement » exacerber par elle).
Ce mythe de la bonne origine primitive est présent tout au long de l'article : pour Latouche il faut « accepter la vie comme une joie » (Alors que nous aurions tendance a penser avec Bergson que la joie est la fin de l'éthique et non son état de base3). Latouche va très loin en ce sens puisqu'il termine son article avec une citation de Hans Jonas, disciple de Heiddeger qui dispose des même travers puriste et inquiétant que lui quand il s'agit de trouver un critère de justification éthique à l'action. Ils en appellent à « la permanence d'une vie authentiquement humaine sur la terre ». Idéologie de la pureté qui n'a pas finie de nous envahir.
La gratuité ou l'illusion de l'impact zéro. Alors qu'il énonce une théorie intéressante sur l'idée que l'on partage pas seulement avec les humains mais avec l'ensemble de la « nature » [ce que nous pensons devoir relire par « les vivants » et qui nous conviendraient mieux sous cette forme], Latouche (comme beaucoup d'autres) croyant critiquer la marchandise se réfugie dans l'idéologie de la gratuité. A mon sens la gratuité n'est pas le contraire de la marchandise, mais le simple revers de la même pièce de l'économie4.
Sortir de l'anthropocentrisme. Latouche rapporte cependant un point de vue intéressant : « l'homme comme « berger de l'être » et non comme prédateur, ce qu'a la suite de Lanternari on pourrait appeler un éco-anthropocentrisme (voir Lanternari Vittorio, Ecoantropologia. Dall'ingerenza ecologica alla svolta eticoculturale, Dedalo, Bari 2003) ». Pour éclairer le lecteur sur cette référence obscure que Latouche ne prend pas la peine de justifier, il faut savoir que les mouvements écologiques font, à mon avis a juste titre, une critique de l'anthropocentrisme. C'est l'idée que l'humain est 1.supérieur et 2.au centre de ce qui compte sur Terre. Pour critiquer cette tendance plusieurs autres points de vues ont été proposés (que nous vous épargnons, mais que l'on peu retrouver en cherchant à des références comme biocentrisme, sociocentrisme, pathocentrisme, zoocentrisme...) dont l'écocentrisme. L'écocentrisme considère qu'il faut regarder les choses d'un point de vue centrée sur le lieu, lieu de vie d'un groupe de vivant stable. Cependant ce point de vue à reçu des critiques comme celle de l'impossibilité de s'extraire de notre condition humaine. Un éco-anthropocentrisme donc, cela consisterai à rappeller que l'on ne peu pas sortir de ce point de vue humain tout en faisant l'effort de prendre en compte le point de vue que l'on croit pouvoir construire a partir des lieux de vie de communauté stable de vivants. L'idée est intéressante, bien qu'il serait plus juste et simple de parler d'un écocentrisme qui se reconnaît sa base anthropogéntique (et non antrhopocentriste...).
Cependant nous ne pensons pas que Latouche partage réellement cette vue, puisqu'il assimile quelques lignes plus loin l'animalité de l'homme à une vision pessimiste de la nature humaine, ce qui vient replacé immédiatement l'humain au dessus de l'ensemble des vivants (p.176)5.
Maîtriser ses passions. Pour Latouche le but de l'éducation de l'humain est la maîtrise de ses passions. De notre point de vue nous pensons bien au contraire que c'est la raison qu'il faut maîtriser plutôt que les passions sur les quelles la raison n'a que peu d'effets. En cela Latouche à une position rationnaliste, plutôt cartésienne, la ou nous avançons clairement une position humienne et empiriste. Le paradoxe de la critique de Latouche c'est de penser (en suivant en cela ses principes métaphysique apparemment non conscient) que la « mégamachine6 » est « délirante », alors qu'en tant que machine précisément, elle ne délire pas du tout et se contente d'appliquer sa pure rationnalité jusqu'au bout. C'est en cela que nous pensons qu'il faut vraiment abandonner ce point de vue et se préoccuper de domestiquer notre rationalité plutôt que nos passions.
Force de la mysticopsychanalise. Latouche n'hésite pas à puiser sa critique dans les sources les plus douteuses et a formuler des critiques comme « L'émancipation par la technoscience est une fausse émancipation, elle nous désolidarise de notre mère/terre [...] ».
Par ailleurs, on peu remarquer dans cet article quelques autocitations cachées comme Latouche citant Dupuy... qui en fait reprend plus ou moins des propos que tenais déjà Latouche auparavant...
A mon sens Latouche à apporter beaucoup a la décroissance, mais il ne faut pas s'illusionner non plus sur les limites évidentes de tel principes métaphysiques dans une critique qui à bien besoin de nouvelles bases.
1Article publié dans le n°6 de la revue Entropia. Printemps 2009. p.169 à 178.
2Jean Claude Michéa à critiqué dans l'empire du moindre mal, la disparition de l'engagement explicitement morale au profit d'une explication par la science et le droit dans le cadre de société du libéralisme réellement existant.
3 Il faut remarquer que cette vision de la vie comme joie originelle, tient à notre avis d'une mauvaise traduction de l'anglais de William Morris qu'il cite par ailleurs « To accept life itself as a pleasure »; ce que nous aurions tendance a traduire plutôt : Accepter la vie elle même comme un plaisir. Nous ne tergiverserons pas ici pour savoir si Moris avait raison et Latouche tort, nous n'écrivons pas pour rétablir la juste lecture de tel ou telle pensée.
4« L'esprit du don ou de gratuité n'est d'ailleurs pas absent dans la nature […]. Cette « naturalisation » du don permet d'inclure la nature elle même dans le cycle de la réciprocité. »
5« Ce projet repose sur cette vision pessimiste de la nature humaine […] fondée sur l'animalité de l'homme. »
6La mégamachine est un concept qui reprend l'idée de système technicien de Jacques Ellul. Grossièrement la critique consiste à rappeller que nous sommes en partie piégé par un ensemble de rapport entre des techniques rendues nécessaire qui exige de nous que nous nous conformions à elle et à leur cadence plutôt que nous les contrôlions. Chaque machine ou technique en appellant une autre pour la faire fonctionner on est en droit de parler de système technicien, ou de mégamachine.